Union des français de Sarre
Erschienen: Bulletin de Liaison Nr : 96 / Automne 1993
Laquelle des pommes est française?
Bref portrait d’un citoyen du monde.
Déjà dans sa plus jeune enfance Gustave REGLER – dont nous parlerons ici – apprit à connaître le pays frontalier entre la Lorraine et la Sarre lors des sorties dominicales avec sa famille.
Dans son roman autobiographique "Das Ohr des Malchus" (1) paru en 1958 il écrit entre autres : ‘Père parcourut avec nous les champs et les collines et nous apprit à connaître l’entourage si important. Lorsque nous étions " tout au début", là où il n’y avait plus de géographie, il se dirigeait sans doute vers la vieille frontière entre l’Allemagne et la France, source de tant de conflits, et nous fit cueillir à certains endroits des fleurs ou goûter aux fruits tombés de divers arbres; soudain il nous demandait: "Laquelle des pommes est française"?. Silencieux, nous tenions les pommes dans lesquelles nous avions mordu devant nos bouches. Nous le comprenions tôt: il ne croyait pas aux frontières. (2)
Gustave REGLER, Sarrois et Citoyen du Monde – comme on aime le dénommer – n’a jamais oublié ce message au cours des étapes de son odyssée à travers de nombreux pays.
Né il y a 95 ans, le 25 mai 1898 à Merzig, fils de libraire, il vit des années d’études (philosophie/ français/histoire) agitées à Heidelberg et à Munich, atterrit dans les mouvements de la droite puis de la gauche, se range du côté de la république des soviets, lutte en 1934 en vain pour le ‘Statu quo’, est enfin déchu de sa nationalité allemande "pour avoir publié des articles hostiles à l’Allemagne et comme signataire de l’appel sarrois" puis fut expulsé du pays comme antifachiste. II se réfugie en France, vit et travaille comme émigré, membre loyal du parti communiste, à Paris. II effectue deux voyages en Union Soviétique et participe activement en 1936/37 à la guerre civile en Espagne où, entre autres, il fait la connaissance d’Ernest Hemingway. Grièvement blessé, il rentre à Paris pour être interné au début de la guerre au camp du Vernet jusqu'à ce que des amis réussissent à lui procurer un visa pour le Mexique où il émigra avec sa seconde épouse Marie-Louise Vogeler (fille du peintre art-déco Heinrich Vogeler).
II coupe ses liens avec le parti. Après de premières campagnes contre lui on le laisse cependant tranquille tout comme lui-même d’ailleurs semble trouver quelques années de calme, mais dès que la possibilité lui est offerte il se rend à nouveau sur le continent européen. Jusqu’à son décès inattendu au cours d’un voyage d’études aux Indes le 14 janvier 1963 à la Nouvelle-Delhi il reste un observateur attentif et critique des événements du jour "Et déjà pour la troisième année j’ai pris les chemins à travers l’Europe, ai vu les députés à Bonn lire leur journal alors que le gouvernement exposait son programme, ai entendu à Londres les étudiants défendre avec succès leur refus du service armé devant les tribunaux à l’aide de citations de Russell et Einstein, ai toujours mis en comparaison l’homme à l’homme, la cité à la cité." (3)
De nombreuses publications, des émissions radio et des conférences sont les fruits de tous ces voyages. En 1960 la Sarre décerne son Prix de la Culture à Gustave REGLER "en reconnaissance de ses travaux littéraires exceptionnels".
La somme de toutes ses expériences vécues aboutit dans son bilan autobiographique dont le titre allemand "Das Ohr des Malchus" établit un rapport profond avec la capture de Jésus au Mont des Oliviers. Lorsqu’un de ses fidèles coupe une oreille à Malchus, serviteur du Grand Prêtre, Jésus lui dit: "Remets ton glaive à sa place! car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive" (Matth. 26,51-52).
La traduction française parue chez Plon en 1960 se contente d’un titre plus court et s’intitule "Le Glaive et le Fourreau". Gustave REGLER lui ajouta cependant une dédicace ‘Pour Fritz Picard, trait d’union entre la France et l’Allemagne, en amitié.’(4)
Entrer dans le détail des points communs qui ont lié Gustave REGLER á l’hexagone serait certainement trop long. On peut toutefois mentionner celles de ses œuvres parues en français (déjà) depuis longremps épuisées) (5):
"Les Manants du Christ" – Calman-Lévy 1951
"Terre Bénie, Terre Maudite" – Edition du Rocher 1953
"Le Divin Arétin" – Plon 1958
En outre il faut faire mention de l’amitié qui, toute sa vie durant, l’a lié à André Malraux. En 1934 ils avaient participé ensemble au congrès des écrivains à Moscou et tout autant ils s’ètaient engagés ensemble en 1935 à Paris au ‘1er Congrès international des hommes de lettres pour la défense de la culture’. Le dialogue a continué dans les années 60: Gustave REGLER a été un hôte fréquent du Ministère des Affaires Culturelles à Paris. Malraux l’a incité et lui a rendu possible à faire un voyage en Algérie comme correspondant de guerre en 1959 (6) et, aussi lors de son dernier voyage aux Indes, il était muni d’une lettre de recommandation de Malraux adressée au Pandit Nehru.
Lorsque Regler eut connaissance du supplice par le feu de femmes dans l’église d’Oradour il écrivit à son ami Malraux: "Ces flammes ont touché les sourcils de Dieu; dés maintenant ça sent le brûle autour du globe et même dans les églises" (3). Son poème "Oradour" reproduit le profond bouleversement que cet événement lui cause.
Quoique son dossier d’identité portât pendant de longues années la mention: "Explusé de France", Gustave REGLER n’en portait point grief contre "la Grande Nation". II n’avait que le sentiment du "malaise de l’ami qu’on dédaigne". Maintes fois il s’est rendu dans ce pays, surtout à Paris, où il habita bien longtemps. C’est le mot de la concierge de son immeuble dans la rue de Chatillon, à laquelle il avait encore une fois rendu visite, qui caractérise certainement le mieux les rapports entre ce cosmopolite et les Français "Ici vous êtes toujours chez vous".
Annemay Regler-Repplinger
Renvois/Bibliographie
(traduit par R. Jung)